posté le 24-03-2009 à 09:49:57
maman
Maman, un autre personnage, une autre personne, un autre amour...
Maman, en plus de tout l'amour qu'elle a pu me donner m'a apprit à être...
Pas de mensonge, pas de compromission, pas de numéro de charme. Les mots, la structure de la langue, cette belle langue française qu'elle aimait tant. Elle disait toujours que la structure d'une langue et la rigueur avec laquelle on l'applique permet de structurer sa pensée et sa personne, qu'en cherchant le mot juste on rencontrait son moi juste, qu'il fallait toujours tendre à être au plus près de soi pour avoir la chance de s'aimer, que s'aimer soi même était la clef pour pouvoir aimer les autres, donc la vie. Ses paroles raisonnaient toujours comme des phrases essentielles de tolérance et d'acceptation de l'autre tout autre....
Paroles chrétiennes, dans une lecture très personnelle des évangiles, dont elle ne dégageait que ce qui donne de l'espoir en l'homme.
Femme de savoir, très instruite, passionnée d'histoire, d'ethnologie et de sociologie, elle aimait aussi Alexandre Dumas qui la faisait rêver et sa vérité se trouvait entre la justesse de l'information et les aventures romanesques, une petite fille qui croyait encore aux contes de fées et une femme qui acceptait que le monde soit cruel et difficile. Elle existait dans la reconnaissance de ses paradoxes affichés, assumés. Une pensée construite en constante évolution qui glorifiait l'amour de soi et des autres et un corps meurtri qui criait ses peurs, ses douleurs, ses manques, ses chagrins. Qui aurait pu penser en l'écoutant, ce qu'elle prônait pour les autres avec la conviction dont elle était capable, qu'avec elle-même elle était si rigide, si exigeante, si peu enclin au pardon.
La seule personne qu'elle n'ait jamais pardonnée : elle-même.
Une enfance entre l'amour d'un père idéalisé jusqu'à l'extrême, une mère dure et malheureuse en qui elle a toujours cherché une approbation, un environnement riche et luxueux, la société bourgeoise riche juive parisienne des années 30.... Et la guerre, les disparitions et la perte des privilèges...., les peurs, les chagrins...
Maman, toujours divisée entre deux mondes pouvait autant parlé de l'horreur de l'occupation, des gens qui disparaissaient, dont on apprenait l'arrestation ou pire, des jours où rentrant de l'école elle devait regarder à la fenêtre si sa mère avait attaché un foulard à la fenêtre pour la prévenir de ne pas rentrer que de l'insouciance des enfants , de l'énorme privilège qu'elle avait à ne pas mourir de faim, de ne jamais être seule et d'être au courant de tout ce qui se passait. Sa mère n'était pas très douée pour l'instinct maternel, mais sa plus grande vertu était de ne jamais prendre sa fille pour une imbécile et ne lui cachait jamais la vérité des faits, on ne faisait pas de cachotteries devant ou derrière elle.
Elle parlait du bonheur de l'année où sa mère l'avait envoyée à la campagne dans une famille amie dans laquelle elle avait trouvé des frères et sœurs et un instructeur raffiné, cultivé et excentrique.
Elle se souvenait avec délectation de sa petite enfance quand elle voyait défiler chez sa grand-mère le tout Paris intellectuel et fortuné de l'époque.
Elle était fille unique mais ses amis étaient sa fratrie, ce qui ne s'est jamais démenti, tout au long de sa vie elle est restée fidèle et aimante envers tous ses amis d'enfance et tous ses amis plus tard. Quand maman aimait c'était pour la vie.
Dans son enfance elle avait développé très tôt un goût pour les légendes et les belles histoires. Tout au long de sa vie elle a porté et raconté notre légende familiale. Ses récits ont bercés mon enfance, puis mon adolescence et m'ont accompagnés tout au long de ma route.
Nous sommes quatre enfants, aucun de nous n'a les mêmes versions de chaque évènement, mais nous connaissons tous une de ces versions. Aucun de nous n'a vécu la même histoire avec maman, comme si elle avait été une maman unique pour chacun de nous. Il y a quand même des traits retrouvés qui nous disent que c'était bien la même personne.
C'est bien Ma maman à moi que je vous livre et dont je peux parler, celle que j'ai aimée, avec qui je me suis battue, que j'ai testée, que j'ai bousculée, en ne perdant jamais de vue l'admiration et l'amour que je lui portais.
La légende pour moi commence avec la belle histoire qui parle de ma naissance et même de ma conception. Maman était très amoureuse de mon papa artiste dramatique surfant sur la vague du succès (rien de comparable aux émeutes que pouvait soulever le grand Gérard Philippe) mais tout allait bien.
J'étais désirée, j'arrivais dans un climat de joie, de tendresse et de fête. Maman allait accoucher dans une clinique agréable et son obstétricien était un de ses amis. C'est pourquoi je sais l'heure exact de ma naissance, le monsieur qui m'a mise au monde aurait dit à maman : 23H23 pour l'horoscope !
Maman se plaisait à me raconter que ma naissance avait été tellement douce et facile que lorsqu'on m'a posée sur son ventre elle s'était demandé si après une naissance comme celle là, elle aurait une relation particulière avec moi.
Dès la naissance je me voyais investie d'une charge d'amour !
Si j'ai l'air de m'en plaindre c'est un peu par ironie mais ce n'est pas toujours facile d'être à la hauteur d'une telle dose d'amour........
Maman n'était pas une « maman gâteau », en tous cas, ce n'est pas ce que j'ai retenu d'elle. Pourtant les premières années de mon arrivée, elle ne travaillait pas et très vite elle a attendu celui qui allait devenir mon petit frère, elle était donc disponible et toujours en état de grâce. Elle avait une allure de grande dame, un peu sévère, toujours très élégante et sobre, pas de maquillage, pas de bijoux voyants, les cheveux courts, les épaules carrées et la taille fine. Elle avait un port de tête de reine africaine et les plus jolis pieds qu'il m'est été donné de voir. Elle donnait une image « parfaite ». Elle ne semblait jamais céder à la panique, elle était efficace, maniaque, organisée, et s'activait en permanence. Elle cuisinait parfaitement, la regarder manger était un spectacle de bonnes manières, elle faisait le ménage parfaitement, le linge mis au sale le soir se retrouvait le lendemain lavé, repassé, dans les armoires, elle préparait des fêtes parfaitement, elle savait recevoir, et surtout quand enfin, elle posait ses fesses dans un fauteuil lors d'une soirée, elle pouvait parler de tout, elle avait lu des tonnes de bouquins, tout la passionnait, le théâtre, la littérature, la musique classique et contemporaine, la peinture, la sculpture, mais aussi la géopolitique, l'histoire, la sociologie, la philosophie, même les dernières inventions technologiques éveillaient sa curiosité, l'astronomie, le calcul et les mathématiques, tout, tout l'intéressait.
Le soir, elle trouvait souvent le temps de nous raconter, à mon petit frère et à moi, des histoires qu'elle inventait et dans lesquelles elle glissait des informations importantes, des messages qui ont forgés doucement en nous, ses enfants, une « Ethique de la Vie » Celle qu'elle pensait être juste.
Toute la base du concept de Vie pour maman était : Tendre au pardon absolu, à la tolérance totale en sachant que pour l'homme c'est impossible mais que le seul fait d'essayer nous permet d'être en paix.
Elle savait mieux que personne, ce que le chemin apportait de surprises, bonnes ou mauvaises.
Maman croyait en l'homme, elle avait choisi d'y croire.
Elle pensait qu'il n'y a jamais une vérité et qu'il faut accepter celle de l'autre.
Dans la confusion de l'occupation, les drames et les chagrins, sa famille était résistante, elle avait choisi son camp. Elle disait que peut-être le fait que les choix soient si clairs dans ces périodes de troubles, lui avait permis de passer le cap de l'adolescence si tumultueux bien souvent. Qu'elle avait acquis une force de caractère et une bonne dose d'optimisme puisque qu'ils avaient gagné.
Mais avec le recul elle pensait souvent à ce qu'elle aurait fait si elle avait été allemande à ce moment là.
Elle était juive et se demandait souvent comment elle aurait réagi si elle avait été palestinienne.
Maman croyait aux miracles des hommes mais acceptait qu'ils soient des hommes !
Aucun esprit de vengeance ne l'effleurait jamais. Quand elle aimait, elle fonçait de tout son être, sans calcul, sans attente....
Une vie consacrée à la réussite humaine de tous ceux qui l'entouraient.
Bien sur, dans cette frénésie et cette recherche d'absolu, il y a eu des défaites, des désillusions, des chagrins et des échecs. Elle n'a pas toujours fait les bons choix. Mes sœurs aînées, d'un premier mariage, vous diraient que la jeune femme de 20 ans n'était pas si aimante et si mystique.....
Mais ma maman à moi, avait 33 ans au moment de ma naissance !
Mon petit frère né l'année d'après était son petit dernier et son seul fils, elle a su à sa naissance qu'elle n'aurait plus jamais d'enfant. Le Messie était né.
J'étais la seule fille de mon père et il était le seul fils de ma mère.
Les premières années ont été délicieuses, des vacances de 4 mois dans des maisons que mes parents louaient en Bretagne ou dans le midi, plein de monde à la maison, des auteurs, des comédiens, des réalisateurs, des journalistes, un monde d'intellos barjots refaisant le monde jusqu'à 6 heure du matin, des Noëls magiques, avec l'arbre de Noël des artistes et la représentation du cirque « Jean Richard » au Cirque d'Hiver, le tout dans un petit monde sans tâche, qui discutait, riait et sentait bon la joie de vivre.
J'avais 6 ans en 68 et si je n'ai rien compris à ce qui se passait dehors, je voyais bien que la révolution se produisait dans mon petit paradis et que tout, tout allait changer.
Mes parents pris dans le tourbillon de leurs rêve d'humanisme et de démocratisation de la culture, se sont retrouvés à la tête d'une petite association de culture et théâtre, qui allait devenir cette énorme Maison de la Culture de Créteil.
En 70 nous avons quitté les beaux quartiers des Hauts de Seine et nous sommes venus nous installer à Créteil dans une cité HLM.
Mon frère n'a pas très bien vécu ce changement, je crois, mais moi j'étais très enthousiaste à tout changement.
Maman s'est mise à travailler comme une dingue, à 8 ans je préparais le déjeuner pour mon frère et moi, j'allais faire quelques petites courses en rentrant de l'école, mais le ménage était toujours impeccable, les repas toujours délicieux et le linge propre et plié dans les placards.
Maman travaillais en plus, et plus elle travaillais moins elle était aidée, faute de moyens. Des villas de luxes nous sommes passées aux colonies de vacances municipales.
J'adorais ça, c'est là que j'ai eu l'impression de découvrir le monde extérieur, avoir de bonnes relations avec les autres était ma seule préoccupation, et ça marchait plutôt bien. Maman ne me manquait pas trop et papa me réservait quelques moments privilégiés je créais mon nouveau monde.
Pendant que je grandissais maman travaillait de plus en plus et soutenait mon père dans toutes ses entreprises au sein de la maison de la culture. Les difficultés financières, les responsabilités et le besoin de perfection de maman, les trahisons de mon père ont eu raison de son caractère d'abord puis de sa santé.